25.8.06

Trois p'tits coquelicots 7










Scène 7




Gildas   Sale punaise. J’en étais sûr, vous avez osé !

Bûchette    Tout doux, bonhomme, tout doux. T’aimes pas les chansons de Franky ? Ça te rappelle des choses ?

Gildas    C’est une profanation, vous n’avez pas le droit !

Bûchette    J’t’avais prévenu qu’il fallait rien m’interdire. C’est plus fort que moi. Mais là, j’ai eu le nez fin, y sent pas la rose, ton petit jardin secret.

Gildas    Mais qu’est-ce que vous allez croire ? Tous ces mots, dépourvus de sens ? Ces élucubrations ? Je vous croyais plus intelligente.

Bûchette    (Le saisit par le cou et lui plaque le nez sur les lettres.) Arrête de vomir, crapaud . Tu l’as pas assez dégueulassée comme ça ? Hein ? Tu te rappelles, pourriture, tout ce que tu lui as fais subir ? Lis ! Tu la reconnais, quand même, l’écriture de ta chère épouse !

Gildas  Mais ce sont les écrits d’une folle, ça ne tient pas debout, c’est des fantasmes, du délire, vous n’allez pas croire ça…

Bûchette    (Jette Gildas par terre.) J’ai pas les mots. Dieu sait que je crains personne pour les injures, mais là, y’a pas de mots. Comment as-tu pu ? C’est monstrueux !

Gildas    Je suis innocent, je suis innocent ! J’ai subit sa folie pendant des années, j’ai souffert comme pas un, j’ai tout perdu à cause d’elle, tout !

Bûchette    Ça suffit maintenant, tais-toi.

Gildas    Elle a ruiné ma vie. Mais je lui ai pardonné, vous entendez, je lui ai pardonné…

(Bûchette se baisse, prend la poupée et se relève.)

Gildas    Elle reste là, dans cette lumière, comme une déesse…Je vous jure que je l’aimais, que je l’aime encore, que je l’aimerai toujours…

Bûchette    ( S’approche du meuble, menaçant toujours Gildas de son arme, celui-ci recule, elle s’empare du portrait encadré.) Viens avec moi, ma p’tite chérie, on se tire.

Gildas    Qu’est-ce que vous faites ? Rendez-moi ça.

Bûchette    Elle t’a assez vu, elle vient avec moi.










(On entend toujours par moments les chiens hurler mais ni l’un ni l’autre n’y font attention.)

Gildas    Mais je l’aime, moi, je l’aime ! Vous pouvez comprendre ça, vous, la fille à soldats ?

Bûchette    Ah oui ! Tu l’aimes ? ( Elle lui jette son arme.) Eh bien, rejoins-la, si t’as encore des couilles.

( Elle recule jusqu’au dégagement jardin. Il la regarde partir, immobile. On entend la porte de l’appartement s’ouvrir et se refermer. Les chiens hurlent toujours. Deux secondes se passent . Trois coups de feu claquent dans l’escalier.)




 Bandeau réalisé pour la promotion de la pièce jouée en 2012 au théâtre Le Carré 30 (Lyon 1er)




FIN




« Trois p’tits coquelicots » extrait 7 Texte déposé à SACD/SCALA
Toutes les illustrations sont de l'auteur.



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24.8.06

Trois p'tits coquelicots 6








Scène 6



Bûchette    (Lisant) Maman. Je vais te faire de la peine. Beaucoup de peine. Pardonne moi. Si je me suis décidée à en finir une bonne fois pour toute, c’est que je ne vois aucune issue et que je suis complètement désespérée.
Je suis hantée par l’idée d’avoir tout gâché, ma vie, la vôtre, celle de mon mari. Gildas me reproche chaque jour d’être incapable de le rendre heureux et je sais qu’il a raison. Quelle épouse je fais, avec mes malaises à répétitions, mes envies de petite fille, mes rêves de femme immature! Je ne suis même pas capable de comprendre ce qu’il attend de moi. Je le déçois à tout propos et cela le pousse à des extrémités qu’on ne saurait imaginer. Désormais, je vis dans la terreur de mal faire et des réactions de Gildas. Ma vie est une impasse, je n’ai plus ni la force ni l’envie de continuer. Ce qui s’est passé ce soir a servi de déclic à ma décision…

(Flash-back dix ans en arrière: Marie- Hélène pénètre lentement dans le salon, une biographie de Frank Sinatra en main. Elle s’assoit sur une chaise, ouvre le livre et se met à lire. Venant du fond de l’appartement, la voix du crooner. Au bout d’un certain temps, Gildas jeune pénètre, rentrant visiblement du travail, avec son cartable. Il a l’air énervé.)

Gildas jeune    C’est quoi, ces roucoulades ?

Marie- Hélène    Oh, ce n’est rien, mon Chéri, c’est…

Gildas jeune    Je t’en prie, Marie-Hélène, ne commence pas à jouer avec ma patience. Je répète ma question : qu’est-ce que c’est que ces rou-cou-lades ?

Marie- Hélène    Juste…c’est juste un disque. Sinatra…Frank Sinatra.

Gildas jeune Je sais. Je ne suis pas inculte. Ce que je veux savoir, c’est qu’est-ce que c’est que ces façons d’écouter du Frank Sinatra ? Et question subsidiaire : où as-tu trouvé ce genre de distraction ? Réponds !

Marie- Hélène    C’est…c’est un cadeau d’Amandine. Elle m’a offert ce disque quand elle est venue la semaine dernière.

Gildas jeune    Pourquoi ne l’ai-je pas su ?

Marie- Hélène    Mais quelle importance, mon Chéri ?

Gildas jeune    Tout ce qui te touche a de l’importance pour moi. Je suis là pour te protéger. De toi-même, s’il le faut.

Marie- Hélène    Mais, en quoi ce disque…

Gildas jeune    Tu sais très bien que ce genre de romantisme a des effets néfastes sur toi. Et ton idiote de sœur ne l’ignore pas non plus. Je le lui ai déjà dit, que je sache.

Marie- Hélène    Elle n’a pas crû mal faire, je t’assure.

Gildas jeune    Ça suffit. Qu’est-ce que tu tiens dans les mains ?











(Elle tend timidement le livre à Gildas.)

Gildas jeune    C’est ta nouvelle marotte ? On entre dans l’ère Sinatra, maintenant ? A quand les portraits, les posters de Môssieur Sinatra ? Peut-être dans la chambre conjugale, à la place de notre photo de mariage ?

Marie- Hélène    Gildas, je t’en prie…

Gildas jeune   Peut-être va t’on mettre à la poubelle toute la collection de Bach et de Mozart et qu’on va s’offrir l’intégrale de Môssieur Sinatra ?

Marie- Hélène    Gil…

Gildas jeune    Tais-toi ! Tais-toi ! Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que je suis un moins que rien, que je vais laisser ma maison se couvrir des images de ce Môssieur ?
Que je vais laisser l’esprit de ma femme parasité par l’existence de ce funambule ? Ton esprit m’appartient, ton cœur doit m’être entièrement dévoué. C’est la loi de Dieu et c’est la loi des hommes ! Il n’y a pas la place là-dedans pour quoi que ce soit d’autre !

Marie- Hélène    Mon Dieu, Gildas, Je te jure…

Gildas jeune    Vas-tu te taire, nom de Dieu ? Vas-tu te taire ? Cache toi la face, parjure, possédée !
Comment ?    Comment peux-tu ? Un vaurien, un alcoolique, un drogué patenté ! Un mafieux homosexuel ! Il a les mains pleines de sang ! Qu’est-ce que tu lui trouves, hein ? C’est ça, ton idéal de l’homme ? Vas-y, vas-y, réponds !

Marie- Hélène    Mon Dieu, Gildas…

Gildas jeune    Un homme, pour toi, c’est ça, hein ? Un dépravé ! Une ordure, une voix de castra ! Il te fait mouiller, hein ? Il te fait mouiller ! Réponds nom de Dieu !

Marie- Hélène    Pitié… Maman, maman…

Gildas jeune    Tu en as pourtant un pour toi, d’homme. Il est pas pire qu’un autre ! C’est tout de même toi qui l’as choisi, ton homme !

Marie- Hélène    S’il te plaît, s’il te plaît…J’ai peur…

Gildas jeune    Il te plaît plus, ton homme ? Il a pas assez d’envergure, de notoriété ? Je ne suis qu’une cloche, peut-être ?

Marie-Hélène    Gildas, je t’aime, Gildas…

Gildas jeune    Ah oui ! Tu m’aimes ! Madame aime son mari. Redis-le, si tu l’oses, que tu m’aimes, redis-le !

Marie- Hélène    Je te le jure, Gildas, je t’aime, je t’aime !

Gildas jeune (En fureur, il attrape Marie- Hélène par le col, l’agenouille devant lui, et lui force le visage sur sa braguette.) Alors, prouve-le, ton « Amour » ! Prouve-le !

Marie- Hélène    Non, non, pas ça !

Gildas jeune    Si c’était lui, tu le ferais, non ? Aime-moi, putain de Dieu, aime-moi !

(Au bout de quelques secondes, Gildas repousse Marie- Hélène sur la scène.)

Gildas    C’est aussi bien que du Frank Sinatra, non ? Tu sauras qui est ton homme, à présent. Bande de connes !

(Ils s’en vont. Bûchette reprend la lecture de la lettre à voix haute.)












Bûchette    Quand cette lettre te parviendra, tout sera fini. Comme d’habitude, je la jette dans la cour de la concierge où la petite Flora la trouvera et la postera gentiment. Qu’on ne lui dise rien et, peut-être, pourrais-tu un jour lui offrir une petite poupée ? Elle les aime tant.
Maman, à tout jamais, je t’aime. On se retrouvera là-haut, j’en suis sûre. Mille tendresses à Amandine. Priez pour moi.

(Bûchette hébétée, reste assise, la lettre pendante au bout des doigts. Elle se lève soudain , va à la cuisine, en revient avec un rouleau de papier collant. Une par une, elle déplie les lettres de Marie- Hélène et les colle au mur du salon, tout autour du meuble-autel. Elle réussit aussi à suspendre la robe de mariée. Pendant ce temps, les aboiements de chiens se font réentendre mais Bûchette ne semble pas les percevoir. Quand tout est disposé, elle se rend derrière le décor et l’on entend un disque de Sinatra assez fort. Elle s’assoit, pistolet à portée de la main. Quelques secondes après, apparition de Gildas.)







"Trois p'tits coquelicots" extrait 6 Texte déposé à SACD/SCALA




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23.8.06

Trois p'tits coquelicots 5

 





Scène 5



Bûchette    (Dans l'entrée) Ah, c’est toi. Allez, rentre.

Gildas    (Dans l'entrée) Évidement, c’est moi.

Bûchette    (Dans l'entrée) Évidement, évidemment…Alors ?

Gildas    (Dans l'entrée) Alors, alors quoi ?

Bûchette    (Dans l'entrée) Comment ça, alors quoi ? T’as vu du monde, ça grouille, c’est calme, il pleut, y fait beau ? Ce genre de questions, quoi !

(Gildas rentre dans le salon.)

Gildas    Ben, je n’ai rien remarqué. Des gens louches, il y en a partout. Pas plus que d’habitude.

Bûchette    (Dans la cuisine) T’as pas été suivi ? Un grand blond, lunettes de soleil…

Gildas    Non, non. Les gens de tous les jours. Personne ne m’a rien demandé…

Bûchette    (Dans la cuisine) Bon, bon. Ça va. Qu’est-ce que t’as ramené ? Une salade ! Super ! On se la fait pour midi, avec du fromage de chèvre chaud?

Gildas    Si ça vous plaît.

Bûchette    (Dans la cuisine) J’prépare ça et j’arrive.

Gildas    Je suis fatigué.

Bûchette    (Dans la cuisine) Qu’est-ce que tu dis ?

Gildas    Je dis que c’est fatiguant, les courses. Ca descend pour aller en ville, mais au retour…

Bûchette    (Dans la cuisine) Bichette, va !

Gildas   Ici, ça a été ?

Bûchette    (Dans la cuisine) R.A.S. Ça y est, c’est prêt.

(Elle arrive, installe deux couverts sur la table basse, le pain, une bouteille de rouge.)

Bûchette    Ce sera frugal, mais bon, j’suis en vacances, faut pas oublier. (Elle repart.)

Gildas    Ça ira, ça ira. Je suis déjà épaté…

Bûchette    Merci pour le compliment, ça fait plaisir ! (Elle arrive avec le saladier et s’installe à son tour.) Bon, donne ton assiette. Attention ça tache. Bon ap’ !

Gildas     C’est ça. Bon ap’ !

Bûchette    Dis.

Gildas    Quoi ?

Bûchette    Elle était gentille comme ça, ta petite femme ?

Gildas    Je vous ai déjà demandé…

Bûchette    Oui, mais moi, j’veux savoir. J’t’ai bien raconté mon film, moi. T’en fais pas, j’vais pas la vendre à Hollywood, ta saga. J’ai envie de te connaître un peu, toi et elle, si je pars bientôt…

Gildas    Ça me fait mal, de parler de tout ça. Cela a été si dur. Depuis qu’elle est partie, je n’ai jamais retrouvé une vie normale. Non, non, vous pouvez sourire, je ne vis pas comme les autres. Mon existence est figée, là, à côté de cette faible lueur.

Bûchette    Ça fait longtemps qu’elle a dévissé ?

Gildas    Ça fera dix ans. Dix ans le deux juin, la Sainte Blandine. En martyr, elle aussi.

Bûchette    Comment ça, en martyr ?

Gildas    Par pitié…













Bûchette    (Lui versant du vin, dont il boit quelques gouttes du bord des lèvres.) Laisse- toi aller, va, crois en mon expérience, ça soulage, les confidences. C’est comme pour le rhume, faut se moucher de temps en temps, on respire mieux. Elle était malade ?

Gildas    C’est cela, c’est cela. Elle était très malade. Les nerfs, la tête. On a vu des docteurs, des professeurs, la médecine n’y pouvait rien. On lui faisait croire que ça irait mieux, elle avait des traitements. Mais elle souffrait beaucoup quand même.
Et puis… Mon Dieu, quand j’y pense… Ses lubies, ses idées fixes…Mon Dieu, je m’étais promis de ne plus parler de ça. Je ne veux pas salir sa mémoire, comprenez-vous ?

Bûchette    Bois un coup, Gigi, lâche les vannes, laisse filer le courant. J’en ai vu, tu sais. Je peux tout comprendre.

Gildas    Elle n’avait pas la notion de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas, elle ne se rendait pas compte, mais elle choquait tout le monde par son comportement. Les gens n’osaient rien dire, n’est-ce pas, mais leurs regards, leurs chuchotis, leurs airs scandalisés quand elle se mettait soudain à rire sans raison ou à danser toute seule dans une sérieuse soirée de bridge !
Au début, j’attribuais ce comportement à sa jeunesse, à une envie de vie qui contrastait avec le sérieux, l’ascétisme de sa vie de jeune fille sage entre une mère possessive et une sœur un peu débile. Deux ou trois fois, j’ai eu le malheur de lui laisser boire un verre de vin ou de Champagne. Mon Dieu, quelle honte !

Elle se mettait à vociférer des horreurs, à débiter des histoires salaces, encouragée par cette idiote d’Henriette et son salaud de mari. Lui, il la faisait danser, soit disant. En fait, comme elle ne se contrôlait plus, il en profitait pour la coller et la peloter devant tout le monde.
Mon Dieu, mon Dieu…Mais elle était malade, n’est-ce pas, elle était malade ! J’essayais de la calmer, de lui faire prendre ses médicaments et je la ramenais à la maison où pendant des jours et des jours elle luttait contre d’insupportables maux de tête.
C’étaient d’intarissables crises de larmes, de déchirantes lamentations. Que d’heures, que de jours j’ai passés à son chevet, essayant de soulager son calvaire.
Quelques mois avant son décès, je m’étais mis en tête, pour améliorer nos conditions d’existence, de franchir les échelons dans la hiérarchie…

Bûchette    C’était quoi, ton job ?

Gildas    Oh, vous allez vous moquer, n’est-ce pas…

Bûchette    J’ai pas le cœur, là…

Gildas    Je suis maintenant, depuis deux ans, retraité de la fonction publique.

Bûchette    Dans quel fromage ?

Gildas    Les Impôts.

Bûchette    Y’en faut, je suppose…

Gilda    « Y’en faut », comme vous dites. Donc j’ai essayé de passer un concours interne pour accéder aux fonctions de Chef de Service. J’ai travaillé dur, très dur. J’ai fait des sacrifices. Plus de sorties, toutes mes heures libres à étudier, étudier des tas de revues, de législation, de comptabilité publique.

J’en ai passées, des heures dans ce salon, à potasser. Enfin, à essayer. Parce que, n’est-ce pas, c’étaient d’incessants appels à l’aide, des jérémiades à n’en plus finir. Il faisait trop chaud ou trop froid, il y avait des courants d’air imaginaires qui lui gelaient les os et qu’il fallait colmater. Mais je l’aimais, n’est-ce pas, c’était ma femme et ma place était à ses côtés, à veiller à ce qu’il ne lui arrive rien.

Bûchette    Qu’aurait-il pu lui arriver ? Elle avait envie de se faire sauter le caisson ?

Gildas    Non, non, pas ça. Mais plusieurs fois, il lui est arrivé, sans me prévenir, de partir à l’aventure, au gré du vent.
Je l’ai retrouvée un peu partout, dans des bars, à jouer aux cartes, à moitié ivre, avec des inconnus, dans les jardins publics, à rire avec des clochards ou des traîne-savates, une fois même pleurant comme une Madeleine dans une église où elle avait allumé pour plus de cinq cents francs de bougies !

Bûchette    Ça a dû faire plaisir au vieux barbu… C’était si grave ?

Gildas    Il faut l’avoir vécu pour savoir. Vous ne pouvez pas comprendre. J’étais obligé de l’empêcher de sortir sans moi, d’aller faire n’importe quoi, n’importe où.
Elle aurait été une proie facile pour les voyous qui traînent dans la ville. La vue du premier rouleur de mécaniques la faisait entrer en transes. Elle perdait toute notion de pudeur. Sa maladie lui faisait oublier qu’elle était une femme mariée, une femme d’un certain monde. Si je l’avais laissée faire, elle se serait vautrée n’importe où. Elle était en danger.
Heureusement que j’étais là, pour veiller sur elle. Nous avons beaucoup souffert, chacun de notre côté. Mais je l’aimais. C’est ce qui m’a aidé à tenir. Et par delà la mort, je l’aime encore, je l’aime toujours. Comme un oiseau blessé qu’on n’a pas pu sauver.

Bûchette    Comment ça s’est passé ? Elle a souffert ?

Gildas    Elle a souffert…Elle souffrait toujours. Il s’est passé que le cœur a léché. Une nuit. A force, les médicaments…Mais je m’en veux. Si vous saviez comme je m’en veux !

Bûchette    Tu lui avais fait du mal ?

Gildas    Du mal ! Mon Dieu, comment lui aurais-je fait du mal ? Non, je l’ai juste un peu grondée, avant le repas du soir.
Elle se montait la tête, encore une fois, sur un homme qu’elle avait croisé et qui, disait-elle, ressemblait à un acteur de cinéma. Depuis quelques jours elle ne pensait qu’à ça et elle ne pouvait ouvrir la bouche sans parler de ces deux hommes qu’elle confondait. Ça la rendait à moitié folle, Dieu sait pourtant que je n’aime pas employer ce mot, mais c’était ça, elle se levait en pleine nuit en criant le nom de cet acteur, elle attendait le facteur dix fois par jour lui apportant un courrier imaginaire.
Je l’ai grondée et je lui ai fait prendre ses gouttes. Elle n’a pas voulu manger et est allée se coucher.
Pour ne pas la réveiller, j’ai dormi dans le salon. Dans la nuit, je l’ai entendue marcher près de moi. "-Je vais boire un verre d’eau" , m’a t-elle dit, et je me suis rendormi. Le lendemain, je l’ai retrouvée dans la cuisine, étendue par terre. D’après les médecins, elle n’avait pris qu’un ou deux comprimés pour dormir. Le cœur n’en pouvait plus .

Bûchette    Eh ben… (Elle se dirige vers la cuisine.) Tu veux un café ?

Gildas    Non, pas pour moi. Moi aussi je sens que j’ai le cœur qui commence à…

Bûchette    T’as jamais songé à te remaquer avec quelqu’un ?










Gildas    Non. Ma vie s’est arrêtée avec la sienne. Quand sa mère est morte, quelques mois après, j’ai récupéré des affaires à elle, auxquelles elle tenait, je les ai déposées dans ce petit meuble qui est devenu comme une petite chapelle, un mausolée miniature. La lumière brille en permanence. C’est un peu comme si elle était encore présente.

Bûchette    Où elle est enterrée ? Tu veux pas qu’on aille lui rendre une petite visite ?

Gildas    C’est gentil mais c’est impossible. Elle repose dans un petit cimetière, avec ses parents, au fin fond de la Dordogne.
Ça vous embête si je vous laisse faire la vaisselle ? Je ne me sens pas très bien, je vais aller me reposer une petite heure. Excusez-moi, tous ces souvenirs…

Bûchette    T’en fais pas, j’ai l’habitude. Les affreux que je fréquente, c’est pas trop le genre « Papa Poule et gants Mappa » !

(Gildas disparaît dans la chambre côté cour. Bûchette débarrasse la table, donne un coup d’éponge, tend l’oreille du côté chambre à coucher et, rassurée, s’attaque à nouveau à la serrure du petit meuble. Elle prend la dernière lettre de la liasse, s’assoit et lit.)




"Trois p'tits coquelicots" extrait 5 Texte déposé à SACD/SCALA



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