23.8.06

Trois p'tits coquelicots 4





Scène 4



Bûchette    Allez, sœurette, je suis toute à toi.

(Elle choisit une des lettres, dans le haut du tas et s’installe sur la couverture, assise par terre. Elle lit.)

Bûchette    Maman, ma maman. Je réponds vite à ta gentille lettre parce que je sens que tu t’inquiètes pour moi et que ça me fait de la peine. Ne t’en fais pas. Je tiens le coup même si c’est dur à certains moments. Si je ne souffrais pas de ces migraines à répétition, je pense que j’aurais plus de force pour le reste. Le Docteur m’a prescrit des analgésiques qui font effet de temps en temps. Ça m’aide à passer les moments difficiles. Ces longues heures de souffrance m’affaiblissent beaucoup et je me rends bien compte que je ne suis plus assez disponible pour aider Gildas dans ses épreuves. Qui sait s’il ne serait pas moins abattu si je pouvais le soutenir plus que je ne le fais ? Comme il doit se sentir seul, abandonné, au moment où s’effondrent les espoirs qu’il avait mis dans son travail ? Je t’ai déjà dit qu’il avait échoué à son concours pour monter en grade. Il ne s’en remet pas. Il espérait tant, grâce à cette promotion, accéder à des responsabilités plus valorisantes…Il se renferme d’avantage encore, ne supporte plus de voir personne à la maison et refuse toute invitation. Il dit que ce sont des prétextes pour se moquer de lui et pour l’humilier. Je ne vois plus personne. Robert et Henriette ne viennent plus. Gildas est persuadé que Robert lui a mis des bâtons dans les roues, par jalousie. Quand j’en ai la force, quand les vagues de céphalées s’apaisent, j’essaie de sortir Gildas de sa solitude, de le distraire. J’aimerais qu’on aille ensemble au cinéma, au spectacle, qu’on aille prendre l’air au bord du lac. Ca nous ferait du bien à tous les deux, j’en suis tellement persuadée. Mais il n’en est pas question. Il n’a pas le cœur à sortir et, dit-il, il n’aurait pas la patience de supporter ce qu’il appelle mes « jérémiades ». Alors nous restons là, dans cette maison triste où l’on n’écoute même plus de musique et où nos ombres se croisent en silence. Dimanche, il s’est monté la tête quand il a appris par le journal qu’un de ses collègues avait été décoré de la Légion d’Honneur. Je n’ai jamais vu un être se sentir blessé comme il l’a été ce jour-là. J’ai eu très peur pour lui, je n’ai rien pu faire et je me suis sentie incapable de faire quoi que ce soit pour l’aider. Il s’est rendu dans son bureau où étaient entassés tous les documents sur lesquels il avait travaillé pendant des mois pour son concours et il a tout détruit. Méthodiquement, dans une colère froide absolument impressionnante. J’ai essayé de le raisonner, de le convaincre que c’était un accident, que la prochaine fois il réussirait, que j’avais confiance en lui, rien n’y a fait. J’ai même senti dans son regard et dans sa voix qu’il m’attribuait une part de responsabilité dans son échec. Et si… L’ai-je assez encouragé, ne lui ai-je pas fait perdre du temps et de l’énergie avec ma santé qui se dégrade, n’aurais-je pas dû le dissuader de se lancer dans une aventure trop périlleuse pour lui ? Je ne sais plus que penser, j’en arrive à croire que je lui fais plus de mal que de bien. A t-il trouvé en moi une alliée ou s’est-il encombré d’un boulet qu’il traînera toute sa vie durant ? Maman, ma Maman, je suis désolée de ce que je viens d’écrire. Tu vas encore t’inquiéter. Il ne faut pas. Ça finira bien par s’arranger. Dès que le printemps sera enfin là avec ses brumisations d’odeurs fraîches qui ne manqueront pas d’envahir aussi notre maison. Je t’embrasse. Mille bisous à Amandine que j’attends avec impatience d’ici quelques semaines. Je t’aime... Marie- Hélène.











 (Bûchette remet tout doucement le disque de Piaf, danse avec la poupée en porcelaine. Elle la pose délicatement sur une des chaises, s’absente une minute dans la salle de bain et en revient habillée. Elle reprend la poupée et se remet à danser. Au bout de quelques secondes, on entend les chiens aboyer. Bûchette range précipitamment les lettres, le coffret et la poupée dans le petit meuble. On frappe à la porte. Elle disparaît dans l'entrée.)




"Trois p'tits coquelicots" extrait 4 Texte déposé à SACD/SCALA




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